La préparation du chiffon
Les fibres végétales, nécessaires à la fabrication du papier,comme le lin et le chanvre en Europe, étaient récupérées dans des chiffons usés dans les moulins papetiers.
Pourquoi le chiffon ?
Tout simplement parce que, sans le savoir, à la filature, les tisserands ont considérablement préparé le travail du papetier. En effet, les meilleures fibres des plantes (lin et chanvre) ont été sélectionnées pour tisser divers vêtements et linges. De plus, les quantités de fibres disponibles à cette époque n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Il n’y avait pas assez de fibres végétales pour tout le monde ! Il suffit donc, une fois usés, de récupérer ces chiffons, grâce aux chiffonniers, dont le travail principal était de collecter cette matière première pour la mettre à la disposition des moulins à papier.
Dès lors que le chiffon arrive au moulin à papier, sa préparation peut commencer. Celle-ci se déroule en plusieurs étapes confiées à des ouvrières: les chiffonnières.
La préparation du chiffon
Dès lors que le chiffon arrive au moulin à papier, sa préparation peut commencer. Celle-ci se déroule en plusieurs étapes confiées à des ouvrières, les chiffonnières. Le triageLes chiffons sont triés par fibres, par qualité (usés, fins, gros, neufs, résistance …), par couleurs. Ce tri permettra au papetier de pouvoir les utiliser différemment suivant les productions souhaitées.
Le lissageCette opération permet de supprimer tout corps étrangers tels que les boutons et les épingles trop dangereux pour les opérations suivantes, les coutures et ourlets trop épais qui iront constituer une catégorie particulière de matière première.Le découpageA l’aide d’un banc sur lequel est fixée une lame de faux, un « dérompoir » l’ouvrier ou l’ouvrière va trancher inlassablement le tissu en morceaux plus ou moins réguliers de quelques centimètres. On les appelle ici « les pétassous ». Ce sont eux qui seront plus tard broyés par la machine afin d’obtenir la pâte à papier.Le pourrissageUne fois découpé, le chiffon est placé avec de l’eau dans des « pourrissoirs », vastes bacs en pierre dans lesquels « les pétassous » vont se ramollir et s’attendrir durant plusieurs jours ou semaines. L’odeur qui se dégage alors est pestilentielle. Ensuite, le chiffon est prêt à être transformé en pâte à papier.
La préparation de la pâte à papier
Avant l’arrivée des piles hollandaises au XIXe siècle à la Rouzique, c’était une pile à maillets qui fabriquait la pâte. Les chiffons pourris étaient martelés des jours durant par de gros maillets en bois entraînés par un arbre à came, lui même entraîné par la roue du moulin. Le travail était long et difficile.
La pile hollandaise
Dans un premier temps on rempli la pile hollandaise d’eau au pH neutre pour une meilleure qualité et conservation du papier. On peut ensuite charger la pile hollandaise, on verse progressivement les pétassous dans la cuve en prenant soin que tout cela soit régulier. Il faut prendre garde à ce que tous les « pétassous » passent régulièrement sous les lames du cylindre afin que la première étape « le défilage » soit correctement effectué. Cette opération, a une durée très variable en fonction de la qualité du tissu.
Viennent ensuite le défibrage et le raffinage de la pâte à papier, le cylindre continue à être régulièrement abaissé afin de travailler le mélange convenablement jusqu’à obtenir la pâte à papier désirée. En quelques heures, la pâte à papier est prête !
Les compositions de pâte à papier ainsi que les durées nécessaires pour l’obtenir varient d’une fabrication à l’autre.
Pour autant, à moins que l’on désire fabriquer certains papiers filtre ou buvard, la pâte à papier n’est pas terminée. Il faut procéder à l’encollage. Nous allons mélanger à cette pâte une colle, c’est à dire un produit qui va rendre le papier imperméable. Longtemps les papetiers fabriquaient du papier sans colle donc buvard qu’ils devaient ensuite tremper dans des préparations obtenues à partir de gélatine animale.
Aujourd’hui, l’encollage s’effectue dans la masse, c’est-à-dire que la colle est ajoutée dans la pile hollandaise, durant le processus de fabrication de la pâte.
On peut également souhaiter donner une couleur particulière à la pâte à papier, aussi il est possible de colorer celle-ci dans la pile hollandaise. Dans ce cas, la coloration s’effectue avant d’encoller la pâte à papier. On agira de même pour les inclusions (fleurs fraîches etc…)
La fabrication des feuilles de papier
L’ouvreur et le coucheur vont maintenant entrer en action. Ils ont besoin d’une cuve à ouvrer et de formes à papier.
Les outils
La cuve à ouvrer
Un grand bac en bois (en inox aujourd’hui) que l’on appelle la cuve à ouvrer est rempli d’eau. A cette eau on ajoute ensuite de la pâte à papier, en proportion variable suivant les grammages désirés. Le grammage du papier est le poids d’une feuille au mètre carré (exemple : 80g/m2). Plus les papetiers ajoutent de la pâte à une même quantité d’eau, plus le papier sera lourd. Mais le grammage du papier artisanal dépendra aussi du geste du papetier et de son outil.
Les formes à papier
Qu’elle soit rectangulaire, ronde ou carrée, une forme à papier n’est autre qu’un tamis généralement métallique (cuivre, bronze, laiton) tendu sur un cadre en bois.
On pourra ainsi parler par exemple de papier vergé ou de papier velin suivant la qualité de la trame de l’outil.
Un autre cadre en bois, la couverte, s’adapte exactement aux contours de la première partie, l’entourant ainsi d’un bourrelet qui retient la pâte lors du puisage. Il aide de plus le puiseur à contrôler la quantité de pâte voulue.
Le plus souvent sur la forme est brodé un filigrane.
Ces formes peuvent être de 2 types différents, soit vergé, soit velin. En fait c’est la façon dont la grille est fabriquée qui change.
Le vergé serait la technique de construction des formes à papier la plus ancienne, elle remonterai au moins au 13eme siècle en Italie. Le velin quand à lui est apparu au 18eme siècle en Angleterre, il s’agit ni plus ni moins d’un tissage mécanique de la toile métallique.
Au départ, nous avons un cadre en bois sur lequel on va disposer le tamis.
Pour le vergé, des fils métalliques sont tendus parallèles et de manière très serrée. Ces fils appelés vergeures (prononcez verjure) sont soutenus par les pontuseaux, sortes de réglettes en bois en forme de goutte d’eau qui sont prises dans le cadre en bois. Une chaînette passe sur le pontuseau sur lequel elle est tenue régulièrement par un fil de cuivre ou de laiton. La chaînette conserve le bon écartement entre les vergeures.
Tout cet ensemble très rigide permet de fabriquer du beau papier dans lequel on verra apparaître en transparence la trace des vergeures. Il s’agit du papier traditionnel occidental par excellence.
Le velin est un tissage mécanique obtenue sur un métier à tisser. On crée donc une toile métallique que l’on disposera sur le cadre en bois. On retrouve les pontuseaux, mais plus les chaînettes. La toile étant tenue par quelques liens grâce un fin fil de laiton ou de cuivre.
Quelle soit vergé ou velin, chaque forme reçoit une couverte, c’est à dire un cadre en bois qui s’adaptera parfaitement au contour de la forme afin de délimiter le format de la feuille. Cette couverte peut être d’épaisseur variable même si comme nous le verrons plus tard son épaisseur n’a pas vraiment d’influence sur l’épaisseur et le grammage final du papier.
Les formes à papier fonctionnent généralement par paire. Une seule couverte s’adaptant parfaitement sur les deux outils est nécessaire.
Le travail de l’ouvreur
L’ouvreur, saisit la forme à papier, ajuste la couverte puis plonge l’outil dans la cuve à ouvrer, où la pâte et l’eau ont été soigneusement brassée. Il puise ainsi de la pâte à papier puis ressort la forme de la cuve, et imprime le « branlement » qui est un mouvement de va et vient donné à l’outil afin que les fibres se répartissent de manière harmonieuse sur la toile, la feuille n’en sera que plus solide et plus belle. Il dépose ensuite la forme sur le rebord de la cuve. Quelques secondes d’attente et il retire la couverte.
De la dextérité de l’ouvreur va dépendre en grande partie la qualité de la feuille de papier.
Le coucheur prend ensuite le relais.
Le travail du coucheur
Le Coucheur, placé devant la cuve à ouvrer, a préparé un support (un plateau de bois) sur lequel il a disposé un feutre de laine. Il saisit la forme à papier et la renverse, la couche sur le feutre. Il exerce une légère pression et relève la forme. C’est alors que le miracle s’accomplit. En effet, la feuille de papier encore humide a quitté la forme et est restée sur le feutre. Le coucheur repasse la forme à l’ouvreur qui recommence l’opération de puisage.
Généralement, deux outils sont utilisés en même temps afin que la production soit plus rapide, c’est-à-dire que pendant que le coucheur exerce son art, le puiseur avec un second outil absolument identique exerce le sien. On parle de paire de formes à papier.
Chaque feuille est recouverte d’un feutre et elles sont ainsi empilées les unes surles autres. L’opération est répétée jusqu’à ce que ces deux artisans aient fabriqué une « porse » (100 feuilles et 101 feutres).
Maintenant, place à la presse.
La presse
La presse va « essorer » le papier, enlever un maximum d’eau contenue dans les fibres.
La porse est mise sous la presse, puis à l’aide d’un levier, un ou plusieurs ouvriers vont serrer la vis de la presse pour extraire la plus grande quantité d’eau possible.
Aujourd’hui à la Rouzique, une presse hydraulique moderne, construite sur mesure est venue prendre le relais de la presse ancienne. D’un confort d’utilisation nettement plus agréable, cette presse permet en outre de presser avec régularité le papier.
Le travail du leveur
Une fois pressées, il convient de séparer les feuilles des feutres pour les amener à sécher.
Cette opération incombe au leveur. Devant faire preuve de beaucoup de minutie, celui-ci est chargé de lever les feuilles des feutres et de reconstituer une porse blanche.
Il va retirer délicatement une à une les feuilles des feutres et les déposer encore humides les unes sur les autres sur un plateau au dimensions adéquates, le drapan.
Ces feuilles vont être pressées une ou plusieurs fois encore afin d’éliminer au maximum la trace du feutre de laine.
Elles sont ensuite amenées au séchoir.
Le séchage du papier
A ce stade, les feuilles de papier vont quitter l’atelier pour être apporter à l’étendoir, à l’étage.
Le drapan pesant de 5 ou 6 kilos à parfois une trentaine de kilos, il convient de le porter sur la tête afin de ne pas trop subir ni le poids, ni l’encombrement du au format du papier.
L’étendoir qui occupe généralement tout l’étage du moulin à papier est caractérisé par deux éléments :
À l’intérieur, des centaines de mètres de cordes qui se déroulent sur plusieurs niveaux pour accueillir le papier qui y est déposé à cheval ou suspendu avec des épingles spéciales.
À l’extérieur, des volets verticaux, localement appelés « interlats » permettent de ventiler le séchoir suivant les courants d’air et donc de garantir un bon séchage.
Accessoirement, ces interlats sont forts pratiques pour reconnaître les moulins à papier, en effet, ceux-ci sont quasi systématiquement organisés de la même façon : atelier au rez de chaussée, étendoir et donc interlats à l’étage.
Pour déposer le papier sur les cordes, les ouvrières, juchées sur des bancs d’étendage afin d’atteindre les cordes, utilisent un ferlet, sorte de T en bois sur lequel une ou plusieurs feuilles sont déposées.
L’ouvrière hisse le ferlet et les feuilles plus haut que la corde puis en redescendant, libère les feuilles qui se retrouvent donc à cheval sur cette corde. Ainsi installé, le papier mettra de 2 à 5 jours pour sécher. Ceci variant évidemment suivant le format, le grammage et la saison.
Les finitions
Le papier une fois sec a pris un pli sur la corde ou bien est légèrement froissé, corné, c’est pourquoi la presse va être mise à contribution une nouvelle fois.
Une fois les feuilles manipulées à la main par paquet pour atténuer la raideur occasionnée par le séchage, on va intercaler ces paquets de feuilles entre de minces planches de bois, les ais. Les feuilles de papier vont ainsi subir une nouvelle pressée durant 2 jours. Pour cette opération, nous utilisons l’énorme et ancienne presse à bras du moulin.
Il faut serrer fort la vis pour bien represser le papier sorti du séchoir !
Il y a peu de temps encore, dans les papeteries de Couze, on mettait plusieurs presses à contribution pour cette étape.
Le papier est ensuite trié, on tache , si possible, d’enlever d’éventuelles impuretés prises dans les fibres. Le papier peut être ensuite lissé afin de lui donner le grain désiré (ce dernier dépendant aussi du feutre utilisé), éventuellement découpé. On préfère toutefois garder les feuilles entières afin de préserver « les barbes » qui sont les bords naturellement irréguliers du papier fait main.
Il faut compter les feuilles, les mettre en « mains »(25 feuilles) et en rames (500 feuilles). Enfin les emballer pour l’expédition, autrefois sur des gabarres, aujourd’hui par la poste ou un transporteur. Les temps changent …